Abderrazak Hamzaoui: L’humanité a toujours été créative. Elle l’ est, et elle le restera
Libération, le 22 juin 2021
Ingénieur de formation, Abderrazzak Hamzaoui (58 ans), ne ne s’est pas pour autant laissé absorber par son immense champ d’activité. Son amour pour les voyelles et consonnes l’a guidé sur le chemin de la littérature, non seulement en tant que lecteur assidu mais aussi dans la position d’écrivain.
Auteur de ‘’Le Muet’’, aux éditions 7e ciel, Abderrazzak Hamzaoui n’a qu’une seule prétention, transmettre son savoir et réduire la fracture qui définit actuellement la relation entre la culture et les nouvelles générations. A travers son roman et les quatre années d’écriture qu’il a nécessité, il espère du fond du cœur donner envie aux élèves et autres étudiants universitaires de lire, discuter et surtout développer une pensée critique. Une volonté somme toute noble mais qui se heurte à une jeunesse marocaine et arabe à contresens de toute velléité de se cultiver, peu encouragée qu’elle est par une volonté politique qui frise le néant à cet effet. En tout cas, Abderrazzak Hamzaoui ne baisse pas les bras et espère de cette manière contribuer à renforcer l’immunité intellectuelle collective des jeunes d’aujourd’hui et de demain. Libé : Quand avez-vous ressenti le besoin d’écrire ? Abderrazzak Hamzaoui : J’ai toujours eu l’intention d’être écrivain parce que même si je le suis devenu vers la fin de ma carrière, c’était pour moi une façon d’exprimer mes idées en toute liberté et de sentir que je contribue au développement de la société. A mon sens, la littérature ne se résume pas uniquement au plaisir de lire mais c’est plutôt une façon de penser autrement, d’échanger ses idées et de les partager avec les lecteurs. Qu’est-ce qui vous passionne dans la culture arabo-musulmane qui se trouve au cœur de votre livre ? Il y a deux aspects. Le premier, c’est que j’ai jugé utile de me pencher sur ce qu’on pourrait appeler les freins qui empêchent l’esprit humain de penser de manière libre. Et notamment une croyance dominante selon laquelle celui qui excellait était celui qui a appris et pas celui qui a compris. Le résultat de cette croyance est que l’on est allé droit dans le mur dans beaucoup de domaines, en l’occurrence l’enseignement et la culture, favorisant ainsi l’endoctrinement et la pensée unique. Le second point, qui est positif, c’est la sagesse qui se dégage des petites histoires que nos grands-parents nous racontaient. D’ailleurs, notre culture est très riche en ce sens. Elle serait cependant sur le déclin. Pensez-vous qu’il soit possible de lui redonner un second souffle ? C’est justement l’une des idées maîtresses de mon livre ‘’Le muet’’. Vous avez entièrement raison, la culture arabo-musulmane est en déclin, mais le point de départ de toute évolution ou de tout développement c’est d’abord la remise en cause des vérités absolues. Il faut avoir le courage de remettre en cause les pensées. Je suis arrivé à cette conclusion car j’ai toujours pensé à ce que je faisais et je n’ai jamais raté l’occasion de me former de manière multidisciplinaire. D’ailleurs, je crois n’avoir jamais été l’esclave d’une technique ou d’une quelconque compétence aussi intéressante soit-elle. Je me posais toujours la question de savoir comment je pourrais me développer et devenir meilleur. Le fait que je sois maître en programmation neurolinguistique m’a également appris que pour qu’un être humain puisse se développer et impacter son environnement, il faudrait qu’il se positionne dans une situation où il a le choix. Se ranger à l’aveuglette derrière une pensée aussi intéressante soit-elle, n’est pas une bonne idée. Il faut toujours se poser des questions, prendre du recul, penser autrement et voir si on a d’autres choix qui se présentent à nous.
C’est un beau programme, certes, mais peut-il être efficace sans volonté politique pour vulgariser la culture ? En fait, tout est lié. Pour que le décideur politique puisse prendre de telles décisions, il faudrait qu’il ait le courage de se remettre en question. A travers mes expériences dans l’administration, j’ai remarqué que, parfois, la prise de décision n’est tributaire que de l’individu lui-même. Il se fait des illusions selon lesquelles il ne pourrait pas prendre de décision alors qu’en réalité,ses croyances limitantes le freinent. Ce qui rejoint encore une fois ce que j’expliquais au sujet de l’importance de la remise en cause de la pensée. De plus, les croyances limitantes ont un autre inconvénient puisque c’est quelque chose qui a été utilisé à un moment donné et qui n’a plus d’utilité aujourd’hui. Etes-vous partisan de la théorie selon laquelle l’humanité manque actuellement de créativité en comparaison avec les siècles précédents ? L’humanité a toujours été créative. Elle l’est, et elle le restera. Si nous nous retrouvons dans une situation où nous sommes bloqués parla vérité absolue, ailleurs dans le monde, il y aura certainement des esprits créatifs. Et pour contribuer à la créativité de l’humanité, il faudrait que l’être humain, en général, se réconcilie avec sa pensée, qu’il la maîtrise en pensant librement. Dans un récent entretien, vous avez dit que les arts représentaient la vie ou plutôt ses manifestations, cela veut-il dire par ricochet que l’absence d’art dans nos vies est une autre façon de mourir, du moins intellectuellement ? Finalement, les arts nous rapprochent de la beauté. A mon sens, la beauté est un agencement de plusieurs composantes. Il se trouve que la vie est illustrée dans des agencements tels que les fleurs, ou les paysages, entre autres. Donc, plus on se rapproche de notre capacité artistique, plus on se rapproche de la vie, on en profite et on l’apprécie. Cette sensibilité artistique on la possède tous. Le problème est que si nous nous trouvons dans un milieu qui apprécie les arts, on a de fortes chances de développer une sensibilité artistique, autrement, elle risque d’être très limitée. Et dans ce sens, il faudrait à un moment donné que les décideurs politiques accordent de l’importance au développement des capacités de chaque individu pour lui permettre d’avoir une grande sensibilité artistique. C’est ce qui résulte sur de l’espoir.
Vous êtes maître praticien en programmation neurolinguistique (PNL), en quoi cela consiste-t-il ? Il s’agit de la modélisation de l’excellence et de la pensée de l’être humain. Pour que la PNL ait un impact, il faudrait que l’être humain soit adepte de la méta pensée et donc être amené à se poser des questions. Ensuite, il faudrait que chaque personne ayant atteint l’excellence dans une expérience donnée devienne une source d’inspiration pour autrui. Ce qui fait l’éloge de la PNL, ce sont les expériences faites sur les spécialistes dans un domaine donné. Ils avaient tous les mêmes compétences mais, en parallèle, il y en a qui excellaient et d’autres moins. L’idée était donc de modéliser la façon de penser de ces gens qui excellent. Cela a permis d’établir des protocoles mis à la disposition de tous. Ces protocoles ont mis en évidence que le secret de tout cela se trouve dans la façon de penser de l’individu. Il y a donc des gens qui ont la capacité de se remettre en question et de mettre en cause les croyances limitées et d’autres moins, en dépit parfois, de leur formation universitaire. Est-ce que la PNL influence d’une façon ou d’une autre votre manière d’écrire et de penser le monde ? Cela m’a aidé à me mettre à la place de l’autre pour être dans le même état d’esprit, ressentir ce qu’il ressent et mieux comprendre sa façon de penser. Donc, la PNL a cette force de nous donner des outils qui nous permettent de mieux appréhender le monde. Comme on dit toujours en PNL, chacun a sa propre carte du monde. La PNL me permet aussi d’avoir du recul et de voir dans quelle mesure les croyances limitantes ont pu causer des dégâts aux personnages. A titre d’exemple, je peux citer Saad, le personnage principal de « Le Muet ». Lorsqu’il était en prison où il a subi des atrocités de la part d’une organisation jihadiste, j’ai fait l’effort de vivre son état pour mieux décrire ce qu’il ressentait. Et je peux vous assurer qu’au moment où je décrivais les scènes atroces, j’avais les larmes aux yeux. Je ressentais ce qu’il ressentait, et j’ai eu besoin de plusieurs semaines pour me libérer des sentiments que le personnage a pu éprouver. Et cela justement grâce à la PNL, qui a aussi bien d’autres avantages. Comme d’être en méta position par rapport à différents personnages. Un processus généralement appelé l’ironie flaubertienne par les écrivains ou les romanciers. C’est-à-dire la situation où le lecteur sait comment évoluera l’histoire contrairement aux personnages. Sans oublier que la plupart des personnes de mon roman ‘’Le muet’’ ont parcouru un voyage initiatique. Un voyage à travers lequel les croyances ont été balayées au fur et à mesure des péripéties de l’histoire. Ce processus de mutation des croyances ne peut s’achever qu’à travers les états émotionnels et les expériences réellement vécues par les personnages.
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